A peine avais-je attaché mon vélo au poteau du coin de la rue que je tombai pif à pif avec mon vieux copain Démétrios Kouyapapas! La vache! enseveli au fin fond de mes souvenirs de jeunesse le mec, ça remonte à l’époque où je naviguais et lui aussi du reste. Autrement dit les années soixante-dix ou quatre-vingts, à ce niveau de distance on ne sait plus trop. En tout cas, nickel-chrome le Démétrios, chicos comme pas possible dans le genre yachtman du siècle dernier, futal crème, blazer bleu et cheveu argent massif avec ondulations légères comme ça se faisait à Hollywood au temps de Dany Kaye et de Dean Martin. Malgré les décennies on s’est retapissés illico, sans hésitation : le changement, tous les deux, nous l’avions opéré dans la continuité comme disait cette vieille crapule de Giscard, on prend de la ride mais on garde la même tronche, ça facilite les rapports sociaux. Bref, vachement buriné, le Grec, un peu ventripotent aussi mais pareil à lui même, l’œil vif, la démarche souple et l’air toujours prêt à entuber l’interlocuteur avec tact et onction. Bien entendu, ce genre de retrouvaille ça s’arrose et je l’entraînai aussi sec Derrière Napoléon.
Naturellement, vu qu’on bourlinguait vers les midi, le zinc croulait sous les grosses pointures: le vieux Maurice, Grauburle, Foupallour, Yves Rognes et même Blaise Sanzel le coude toujours alerte en dépit du grand âge. Une fois les présentations effectuées, la première tournée servie et les vieux souvenirs évoqués -notamment les putes de Singapour, de Rotterdam, de Valparaiso, de Copenhague, de Tanger, de Colombo, de Santos, de Durban et d’autres lieux illustres, la plupart de ces damoiselles ne survivant plus sans doute que dans l’inoxydable mémoire de vieux kroumirs de notre acabit- le sieur Kouyapapas daigna nous en dire un peu plus.
-« Comprenez vous, Messieurs, avec la bande de siphonnés qui vient de faire main basse sur le pouvoir dans mon malheureux pays, mieux vaut prendre un minimum de précautions, on ne sait jamais trop comment les choses peuvent tourner. J’ai une petite société, quelques porte-conteneurs, rien de méchant mais bon, autant essayer de sauver les meubles pendant qu’il en est encore temps. Alors déjà, physiquement il apparaît hautement préférable de se mettre à l’abri, les foules ça peut s’énerver, parfois…quant aux capitaux, bien sûr, il convenait de les exfiltrer avant même le résultat des élections, en tout cas les gens raisonnables n’y ont pas manqué. Faut s’organiser, quoi, faire le dos rond en attendant que ces gentils hurluberlus se pètent la gueule, ce qui ne manquera pas de se produire assez rapidement : quand on promet l’opulence sans en avoir le premier sou, l’euphorie retombe vite en général…maintenant, vu la bande de sans-couilles qui gère l’Union Européenne, ils sont encore capables de les aider les Cocos…avec votre pognon, bien entendu! Remarquez, ça finira mal, forcément, tôt ou tard…peut être l’exemple calmera-t-il les autres, je vous le souhaite en tout cas, parce que les conneries de ce genre ça peut faire tache d’huile, comme on dit en Crète…regardez déjà les Espagnols, pas vrai? D’ici qu’il nous rejouent 1936, ces cons, sans compter qu’ils n’ont même plus Franco pour les remettre sur les rails…au fait vous en possédez un vous, de petit caudillo, vous pourrez peut être le leur prêter, ça ne vous manquerait pas trop, je pense, dans le genre politicard de haut-vol vous avez pléthore, non?
-Ah, ça on vous le fait pas dire, répliqua Jean Foupallour en ponctuant par un tintinnabulement de glaçons, c’est pas les escrocs qui nous manquent, sauf que çui-là on peut pas trop leur recommander aux Espanches, il est franco comme un âne qui recule… »
Et tandis que Jeannot tout content de sa vanne, rigolait à s’en faire péter la taïole, Grauburle relançait la conversation en demandant à Démétrios s’il comptait s’installer par ici dans l’attente d’une éventuelle fin de l’orage gréco-gauchiard.
-« Ça va pas, non, bondit l’autre en manquant s’étouffer avec sa gorgée de pur-malt, où voulez vous que je pose les valises? En France, en Italie, en Espagne? Et je ne vous parle même pas d’Europe du Nord! Que des pays de merde, tout ça, quand ce ne sont pas les socialos qui gouvernent c’est le climat qui fait raquer!
Là, je me contente d’une petite escale, histoire de tout bien préparer, et puis je traverse l’Atlantique, cap sur Miami. Au fait, Messieurs, voulez vous passer dans la soirée prendre un pot sur mon bateau, le Bitakoulis? Vous verrez, il s’agit d’une belle petite unité de 55 mètres, il ne m’en faut pas plus, vous savez, pour ce que je fais ça suffit bien.
-Alors comme ça, lui glissa Yves Rognes, l’air de rien, vous faites partie de ces armateurs qui ne payent pas un rond d’impôts tout en se gobergeant au frais de l’Europe?
-Comme vous dites, cher ami, lui répondit l’Héllène, tellement qu’on a voulu nous en faire payer des impôts… alors, peu à peu, l’armement grec qui représentait trois cent mille emplois voilà encore deux ans, passe sous pavillon étranger et licencie à tours de bras. Moi, j’avais tenu jusqu’à présent mais là, avec l’arrivée des hystériques de l’autre connard sans cravate, je fais comme les copains, je reprends mes billes. Car voyez vous, le racket fiscal quand on peut l’éviter, on l’évite; et nous autres marins nous savons changer de port d’attache, nous sommes carrément faits pour ça. Quant à l’Europe, nous n’en avons pas grand chose à secouer, elle pourra juste se réjouir, l’Europe : la Grèce représentait huit pour cent de la flotte mondiale, bientôt elle frisera le zéro, belle avancée, pas vrai? Je vais vous dire : en France vous écoutez trop la propagande officielle, alors vous voyez la réalité au travers du prisme déformant des Francs-Maçons et de leurs serviteurs de tout poil. Voilà pourquoi vous vous retrouvez avec des gouvernements de branquignols, vous perdez des parts de marché à tout bout de champs et vous laissez vos anciennes colonies vous coloniser à leur tour. En revanche, pour ce qui est de payer des impôts vous êtes imbattables, ça on ne pourra pas vous l’enlever. Et puis vous savez, la Grèce, c’était le bastion avancé de l’Occident, le dernier rempart face au Monde Musulman, l’ultime frontière. Au lieu de l’aider, l’Europe la laisse échouer entre les mains des Gauchistes. Déjà ces derniers naturalisent à tours de bras les clandestins qui traînent à tous les coins de rues! Vous allez bientôt vous rendre compte du désastre, trop tard, bien sûr, comme d’habitude… Laisser entrer n’importe qui chez soi ce n’est jamais bon, il suffit de se promener cinq minutes dans vos rues pour en prendre conscience… Non, décidément, la Floride ça a l’air sympa, il y a de quoi naviguer paisible, dans le coin, rien ne dit que je ne trouverai pas une petite île à acheter du côté des Caraïbes. Oh, bien sûr ce ne sera jamais ma chère Foufounikos, celle qui m’a vu naître et dont j’ai fait l’emplette dès que j’ai pu, pour une bouchée de pita…mais bon, quand c’est foutu c’est foutu, voyez vous dans la vie il ne faut jamais se retourner, pareil qu’à vélo, ça ne sert à rien et on risque de se péter la gueule. »
En tout cas, je ne vous dis pas ce qu’on s’est mis le soir même à bord du Bitakoulis! Démétrios question convivialité personne n’a jamais pu le prendre en défaut… aujourd’hui il fonctionne au Ruinart, et sans limite, à croire qu’il a lesté le fond de sa cale avec des roteuses! A la santé de la Grèce et de ses liquidateurs si chers à Mélanchon! Ça, bien sûr, je vous parle d’hier soir…avec débordement sur ce petit matin, comme bien vous pensez…alors ne m’en veuillez pas trop si je m’éclipse pour une petite sieste…
Joyeux Dimanche à tous,
Et merde pour qui ne me lira pas.
NOURATIN.