-« Merde alors, quelle vacherie, tout de même, la guerre! On n’en a pas fini avec le Covid que nous voilà déjà à nous colleter avec le virus russe! Y a pas de bon dieu, on ne s’en sortira jamais, parole! Vous vous rendez compte, je m’en vais pépère mettre mes dix balles de sans-plomb 98 dans ma 4L…ben oui, elle tolère que ça, la pauvre vieille…et alors, vous savez pas? Quatre litres, putain! A peine de quoi la ramener au garage, avec ce qu’elle bouffe, la salope! Non mais des fois, on va où là? L’essence plus chère que le pinard! Du jamais vu! Les horreurs de la guerre, quoi, terrible! »
Ce cher Grauburle, en effet, même s’il voit le conflit poutinesque par le petit bout de la lorgnette, on le sent réellement déstabilisé, inquiet, voire carrément angoissé, face à des embarras qu’il n’imaginait pas voilà à peine deux semaines. Et là, en ce matin grisouillet d’un mars moins pimpant qu’on n’aurait pu l’espérer vu qu’il pleuvasse et qu’on se les gèle comme en novembre, il nous a attaqué l’apéro dominical à l’absinthe, rien que ça! Une nouvelle lubie qui l’amuse beaucoup, vous savez, la petite cuiller avec le sucre et la verte qui tombe goutte à goutte dessus; sans doute le côté poétique lui échappe-t-il complètement, Verlaine, Baudelaire, tout ça il n’en a rigoureusement rien à foutre. Marcel, en revanche il apprécie les délices de l’attente parce qu’ils exacerbent le désir et magnifient le plaisir de la picole, apaisante autant que salvatrice des petites déprimes quotidiennes, accessoires obligés d’une existence quelque peu merdeuse. Et la première gorgée, systématiquement accompagnée d’un claquement de langue limite orgasmique, lui apparaît visiblement comme le plus chouette jour de sa vie, chaque fois renouvelé pour le prix dérisoire d’une petite dose du fabuleux poison.
Jean Foupallour, lui, resté au Ricard par un attachement viscéral frisant l’indéfectible, ne manque jamais une occasion de se payer sa gueule, à Grauburle, ce qui le conduisit, ce matin, à une prise de parole dont la causticité se trouva renforcée par une imprégnation alcoolique déjà bien installée.
– » Dis donc Marcel, concernant le prix du super, finalement t’aurais qu’à lui coller de la verte dans le réservoir, à ta bagnole, si elle met aussi longtemps que toi à se l’enfiler t’es sauvé question consommation, même plus besoin de la sortir du garage, dis donc, ça serait plus la peine! »
A vrai dire, nous avons tous du mal à saisir l’articulation du raisonnement, mais, sans laisser à personne le loisir de l’interroger sur les tenants et aboutissants, cet abruti poursuivit tout de go sans même se préoccuper -momentanément, certes- du sort de son verre vide.
« Et puis vous savez, les potes, cette affaire d’Ukraine, bien sûr ça emmerde pour tout un tas de raisons à la con, mais au fond, moi, les histoires entre Russes, je me demande bien ce qu’on en a à brandouiller. Normalement, si on n’était pas cons comme des balais-brosse, ça devrait nous en toucher une sans faire bouger l’autre! Vous voulez que vous dise ce que j’en pense vraiment, moi? Ben voilà… »
Alors, aussi sec et sans préavis, prenant pour l’occasion l’accent du Père Tuszduku (1), il se mit à beugler sur l’air des « Yeux Noirs »!
« Dans les plaines
De l’Ukraine,
Un cosaque
L’air comaque
S’en allait un jour
A Saint Petersbourg
Voir sa Pétrouchka,
Son amour.
Merd’mes couilles me grattent (bis)
Me gratouillanski
Me gratouillanska,
Si j’me coupe les couilles
Fini la gratouille
Oui mais pour baiser
J’suis couillé!
Zob!«
Voilà, bon prince je vous fais grâce du reste, la paire de couplets suivants étant de la même veine et aussi parfaitement déplacés, dans les présentes circonstances, que le refrain susvisé à base de testicules, repris en chœur, toutefois, par vingt poitrines, dont celles non négligeables de Marlène et de Pompy (2) totalement acquises à la cause du chanteur, lequel fut à la fin très applaudi. Nous le priâmes cependant de bien vouloir réprimer son envie de bisser, la première prise se révélant la bonne, comme on eût dit à Hollywood et aussi du côté de La Villette (mais pour des raisons différentes).
Cela dit, afin de rasséréner autant que possible ce brave Grauburle, je l’informai de la toute récente décision de notre excellent Premier Ministre, lequel nous promet pour le 1er Avril prochain, en guise de poisson, une ristourne de quinze centimes sur le prix du litre de carburant.
Ce que le vieux Maurice, remettant à plus tard l’absorption massive de son demi-pression, releva aussitôt en ces termes fleuris:
-« Ah oui, t’as raison, vise un peu l’enfoiré, dis donc, au lieu d’un truc sérieux, genre TIPP flottante, histoire de compenser l’augmentation énorme de la TVA, le mec il nous fera un rabais à la pompe! Mais attention, hein, c’est pas le prix qui bouge, j’ai bien regardé! Par exemple Marcel, tu paiera tes dix balle d’essence moins une remise spéciale, genre trois fois quinze centimes vu que d’ici la fin du mois y a pas de raison que le prix du baril continue pas sa progression. Donc, si je mords bien le topo, l’idée c’est: l’État vous ratiboise presque deux Euros par litre mais Macrounette, dans son immense générosité, vous rend quinze centimes, pensez bien à lui les 10 et 24 avril prochains! »
Et Foupallour, sur l’air bien connu (3) des Charlots:
-« Merci Macron,
Merci Macron,
C’est un plaisir de voter pour vous,
On est heureux comme des fous... »
Ce sur quoi, Maurice:
-« Bon, ça va, Jeannot, ferme un peu ton claque-merde, il commence à nous les briser, ton tour de chant, je parle sérieusement, moi! Pour tout vous dire, quand je les vois arriver, ces olibrius, Présipède, Cachsex, le petit pédé, là, ah oui, Attal, Véreux, le vacciné de ces dames, enfin toute cette racaille de mes deux, ça me donne envie d’aller au refile! Surtout qu’on est parti pour se les refader encore cinq ans! Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte: cinq ans! Moi oui, je réalise grave, parce qu’à quatre-vingt deux piges passées ça représente un horizon vachement brouillardeux, ça sent le coup de tabac, comme on dit dans la marine! »
-« Ne m’en parlez pas! reprit aussitôt Blaise Sanzel, je friserai les cent-deux ans, à la fin du prochain quinquennat! Moi je veux bien tout ce qu’on veut mais je ne vous garantis pas d’y assister. D’ailleurs, je ne vous le cache pas, franchement là j’en ai un peu ma claque. J’aurai tout vu, vous savez, mes amis, le commencement et la fin de pas mal de choses, à commencer par la guerre, la vraie, celle où on vous tue sans même vous en demander la permission; celle où les petits malins -dans mon genre, je le reconnais- au lieu d’aller au casse-pipe s’en mettent plein les fouilles à la faveur des circonstances. J’ai connu la Troisième, puis la Quatrième, puis la Cinquième Républiques, toutes finalement plus connes les unes que les autres. Avec les deux première qui colonisaient l’Afrique j’ai continué à faire mon beurre -non Jeannot, pas de cacao, ivrogne!- et avec la dernière j’ai constaté la dégringolade irréversible, la gestion du pays par des comiques de cirque! Pas un président sérieux depuis la mort de Pompidou, rien que des clowns! Et puis l’invasion musulmane qui nous étouffera progressivement jusqu’au dernier soupir national, je le sens qui arrive, celui-là! Et aujourd’hui, de nouveau, la guerre à nos portes! Mince alors, qui l’eût cru? Pas moi en tout cas, et celle-là je n’en verrai sans doute pas la fin… Nous entrons dans une période trouble, dangereuse, incertaine, avec Macrounette comme pilote! Excusez-moi mais je le sens moyen, ce coup-là, vous voyez… Quant à vous, Maurice, ne vous faites aucune illusion, croyez-en mon expérience personnelle, si ça se trouve, avec la santé insolente que vous affichez vous en avez encore pour trois quinquennats de merde…je ne suis pas certain, toutefois, qu’il faille vraiment vous le souhaiter… »
Ce sur quoi, l’air pensif, un peu absent, il vida cul-sec son gin-fizz façon Thérèse, celui avec surtout du gin pour que ça conserve à la perfection le parfum subtil du genièvre, et se tut.
A votre bonne santé et conservez vous bien jusqu’à dimanche prochain.
Amitiés à tous.
Et merde pour qui ne me lira pas.
NOURATIN
(1) Voir DERRIERE NAPOLEON chapitres IX et suivants.
(2) Ibid.chapitres II et V.
(3) Bien connu à condition de l’avoir entendu il y a un bon demi-siècle.