De l’utilité publique des vieux bistrots

-« C’est à se demander si ça finira un jour, cette affaire de virus à la con! Z’allez voir qu’on crèvera avec, partis comme on est! Et comme chacun déballe la sienne, pour arriver à s’y retrouver vous pouvez toujours vous fouiller! Entre Macrouille et ses sbires qui prônent le vaccin à tout va, Estrosi qui veut refiler un QR code aux nourrissons, les antivax qui vous prédisent les pires saloperies pour dans dix ou vingt ans, les complotistes qui voient dans cette histoire la mainmise des forces occultes sur les populations subjuguées, les antipass qui hurlent à la dictature sanitaire, le Professeur Défraîchi qui nous promet un variant d’apocalypse pour cet hiver, les études qui vous soutiennent mordicus l’efficacité de Pfizer à 99,99%, celles qui démontrent par A+B que le même Pfizer au bout de trois mois produit une immunité équivalente à la pisse de chien, et Francis Lalanne, coiffé d’un chouette entonnoir, qui, dans une imitation libre de Philippulus le Prophète (1), nous annonce l’extinction de l’humanité par injection massive d’Arn-messager…bref, au milieu de tout ce bastringue, qu’est ce qu’on peut y capter, nous autres, hein? Ben oui, absolument, que dalle, que pouic, c’est nuit et brouillard puissance mille! Allez, va, Thérèse, remets nous la tournée, à choisir entre le pastaga et le pass sanitaire avouez qu’il n’y a pas photo, si le premier ne tue pas forcément le virus, en tout cas lui au moins il fait du bien par où il passe…oui, sanitaire, si vous voulez… »
On ne peut pas lui donner tort, à Marcel Grauburle, une chatte n’y retrouverait pas ses petits, comme disait Grand-Maman et pour ce qui me concerne, j’y perds mon latin, c’est à dire pas grand chose. Ce qui m’embête le plus, c’est encore Thérèse. Elle se trouve complètement perdue, la pauvre vieille, vous pensez, il va falloir qu’elle contrôle les smartphones des clients, elle pour qui le téléphone c’est encore le gros machin noir à cadran rond planqué sous le comptoir pour pouvoir le sortir au cas où…en fait plus jamais, vu que les clients les plus réfractaires au progrès trimballent comme tout un chacun, leurs portables personnels…le moyen d’y échapper… Et donc, maintenant elle nous déballe ses inquiétudes, la taulière, ses interrogations fondamentales, son début de panique.
– « Non mais vous vous rendez compte? Bon, moi je veux bien, s’ils me présentent un papier, les gens, on va dire que je leur fais confiance…sauf qu’il faudrait encore le déchiffrer leur code qui a l’air cul, comme ils disent, là, vous savez! Et je fais quoi moi, pour la lire cette couillonnade? Avec mon combiné téléphonique? Ce n’est pas ça, non, l’amende, hein? Si je manque un truc, ils m’en colleront pour 45 000 Euros, vous vous rendez compte! Ça reste une somme, quand même, à la rigueur une fois je ne dis pas, mais si ça se reproduit tout le temps, je vais devoir tirer le rideau, moi! Ils sont vaches quand même, déjà qu’il ne font rien pour les bistrots, alors pour les vieux patrons de bar, merde alors! Une vraie misère, ce pays part complètement en quenouille…remarquez avec l’autre petit châtré à la tête faut pas trop s’étonner, un président sans burnes c’est comme un Vittel menthe sans menthe et à l’eau du robinet, une arnaque, quoi! »
– « Attends, Thérèse, t’emballe pas, intervient Jean Foupallour après déglutition complète de son quatrième Ricard, celui qui n’entame pas totalement la lucidité mais commence à bien désinhiber, pour l’amende fais toi pas trop de souci, j’ai vachement étudié la question, pas de problème, c’est le client qui va morfler, toi tu n’auras qu’à ouvrir un cahier pour qu’ils notent comme quoi c’est tout bon…au cas où ce serait faux, tu es couverte, aucun risque, la tranquillité garantie Foupallour! Après, si tu veux faire vérifier les QR codes, t’auras qu’à demander à Pompy; ma parole que la clientèle masculine -voire peut être aussi féminine, de nos jours on ne sait plus trop- ça va la brancher à bloc de se faire contrôler le QR par les soins de la petite, fais confiance! Moi le premier, tiens, tous les jours, sans problème, et même deux fois ou plus, vu qu’à la seule idée j’ai Popaul qui nous manifeste un petit frémissement annonciateur…oui bon, juste une impression, faut pas rêver, mais si, un petit peu, ça ne coûte rien…Bon enfin bref, rassure-toi Thérèse, la fermeture ce sera pour plus tard…beaucoup plus tard, j’espère, parce qu’à nos âges, pas vrai, changer de bistrot c’est traumatisant, pour ne pas dire mortel! »
Maurice qui n’en avait pas encore décoincée une, commence à s’ébrouer comme un vieux phoque lorsqu’il envisage sans enthousiasme d’interrompre sa sieste pour repartir à la pêche. Chez lui c’est un signe infaillible: il va parler. Et ça ne loupe pas, une petite gorgée de son demi-pression et hop, la parole est à la défense!
-« Tu l’as dit, bouffi, fait-il en s’adressant à Jeannot, lequel, toutefois, question bouffissure manque un peu d’épaisseur, vu qu’en termes de surcharge pondérale il rendrait des points à un Biafrais anorexique (les moins de septante ans vont sans doute s’interroger). Pour ce qui me concerne, poursuit donc le vioque, si jamais DERRIERE NAPOLEON venait à déposer le bilan, ce serait l’heure de m’en aller déguster les pissenlits par la racine. Passé les quatre-vingts on ne change pas d’habitudes, on dépérit et on claque, voilà tout. Tu réalises un peu ta responsabilité, chère tenancière, le jour où tu fermes ce sera la fin des haricots, l’hécatombe généralisée, le génocide par déshydratation mortifère! »

-« Sans aucun doute, reprend Blaise Sanzel, et je puis vous assurer que lorsqu’on a passé les quatre-vingt-dix, cette sorte de contrariété vous dézingue son homme, en quelques semaines l’affaire est dans le sac, si j’ose ainsi m’exprimer. La vie, en l’occurrence, ce n’est pas à un fil, qu’elle tient, c’est à la qualité des ambiances, à l’ancienneté des relations, à l’alcoolisation conviviale entre gens de bonne compagnie et peut être aussi à ces vieux bois brunis par les décennies pochardiennes, ce zinc antique avec ses creux et ses bosses qui racontent tellement d’histoires d’un passé quasi-révolu, tout un monde qui disparaît, qui partira avec nous, qui est déjà parti, d’ailleurs, tout cela n’étant plus qu’une illusion, au fond… Voilà pourquoi, vous savez, tout ce cirque invraisemblable autour du covid, de ses variants, de ses vaccins et de ses pass sanitaires, me semble parfaitement dérisoire voire même parfaitement déplacé; tout cela pue la combine politique à plein naseaux, l’enjeu n’est même plus le nombre de malades hospitalisés ou de macchabées, non, l’enjeu c’est carrément la présidentielle et rien d’autre. Parce qu’après tout les choses pourraient se révéler extrêmement simples, vous savez, suivez moi deux minutes et je vous donne mon point de vue de très vieux con, à la vôtre mes amis, je vous la ferai courte.
« Alors voilà, nous disposons désormais de vaccins dont on nous certifie l’efficacité. Bon, admettons, nous arrivons aujourd’hui à une technicité d’un tel niveau que la chose est plausible. En conséquence, tout un chacun ayant la possibilité de se faire vacciner sans bourse délier, il lui appartient d’en profiter, s’il le souhaite, auquel cas il se trouvera protégé contre la maladie, ou bien à tout le moins nous dit-on, contre les manifestations les plus graves de celle-ci. Alors, pourquoi diable aller empoisonner l’existence de ceux qui, à tort ou a raison, refusent le vaccin? Je ne vois pas ou est le problème, moi! Les non vaccinés ne peuvent refiler la pistouille qu’à d’autres non vaccinés, pas vrai? Et du coup, chacun assume! Ceux qui crèveront n’auront qu’à s’en prendre à eux mêmes, voilà tout. J’ajoute que les jeunes ne risquent pas grand chose à part contaminer les vieux dépourvus de couverture vaccinale. Ces derniers, s’ils en meurent, auront seulement pris un petit coup d’avance et, de toute façon, ce sera autant de moins que les régimes de retraite auront à décaisser. En l’absence de réforme des pensions cela constituerait, somme toute, une excellente affaire! Ce serait en tout cas beaucoup plus efficace que d’enquiquiner tout le monde avec des contraintes biscornues propres à remettre les Gilets-Jaunes au milieu des Champs Élysées. Mais bon, il est jeune Présipède, il ne comprend rien à la vie et du coup il se fout le doigt dans l’œil jusqu’à s’en perforer le slip! En faisant le malin il risque de scier la branche sur laquelle il tient en équilibre, un peu instable il est vrai. Tant pis pour lui et tant mieux pour nous si cela nous en débarrasse…ce qui n’est pas encore acquis, loin s’en faut… Ouf, voilà qui m’a donné soif, c’est ma tournée Thérèse, à la santé de Macrounette, du Covid, du pass sanitaire et de Pfizer-Biontech! »

Au fond, je trouve qu’il a bien raison, l’ancêtre, on se complique beaucoup trop la vie, de nos jours. Voilà pourquoi les vieux bistrots devraient faire l’objet d’une déclaration d’utilité publique, voire d’une inscription au patrimoine de l’humanité… peut être sont ils désormais le dernier refuge de la sagesse, laquelle risque fort de disparaître en même temps qu’eux. A jamais!
Nous pourrons nous retrouver dimanche prochain… si tout se passe comme prévu. En attendant, à votre bonne santé!
Amitiés à tous.

Et merde pour qui ne me lira pas.

NOURATIN

(1) Voir L’Étoile Mystérieuse (de Hergé)

15 réflexions sur “De l’utilité publique des vieux bistrots

  1. G.Mevennais 25 juillet 2021 / 15 h 43 min

    « Vu qu’en des termes de surcharge pondérale, il rendrait des points à un Biafrais anorexique », vous m’avez fait rigoler bien que ce sujet était et demeure dramatique, enfin, c’est et c’est toujours plus ou moins l’Afrique, il n’y a pas eu de repentance pour ce génocide, il faudrait prévenir Macron, il trouverait bien une petite part de responsabilité dans ce drame. Pour le reste, un régal, que voulez-vous, je reste toujours sous le charme des « conversations » de votre « bistrot » préféré.
    Amitiés, cher Nouratin, et bonne semaine à tous/toutes.
    Gilles.
    NB : Absent pour cause de voyage lointain pendant 3 semaines.

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    • nouratinbis 25 juillet 2021 / 17 h 11 min

      Merci! Pour les Biafrais nous n’étions pas dans le coup…mais en cherchant bien,
      peut être…
      Bonne soirée, Gilles, amitiés.

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  2. Pangloss 25 juillet 2021 / 18 h 01 min

    Il a raison, l’ancêtre. Que ceux qui ne veulent pas se faire vacciner prenent leurs responsabilités. Liberté pour tout le monde, pas de QR-code et Dieu reconnaîtra les siens. A condition, bien sûr qu’on n’accepte pas en réanimation ceux qui ont refusé le vaccin.
    Amicalement.

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    • nouratinbis 25 juillet 2021 / 18 h 13 min

      S’il y en a trop, en effet, ils seront dirigés vers le couloir de gauche…mais
      ne rêvons pas, le QR code sera le sésame de l’avenir. En tout cas, liberté
      ou pas, mieux vaut l’avoir!
      Amitiés.

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  3. Gérard 25 juillet 2021 / 18 h 05 min

    Bon, moi la seule chose que j’espère, au point ou on est rendus, c’est qu’il ne faudra pas déballer un QR code pour commenter sur votre blog, monsieur Nouratin. C’est qu’ils en seraient capables !
    Amitiés

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    • nouratinbis 25 juillet 2021 / 18 h 16 min

      Je m’y opposerai bec et ongles…bon, ne fanfaronnons pas, si jamais cela
      venait à se produire (et pourquoi pas, au point où nous en sommes) je pense
      qu’il me faudra fermer boutique, sans quoi ils n’hésiteront pas à me fusiller!
      Amitiés.

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  4. elba 25 juillet 2021 / 18 h 27 min

    Moi, c’est Jean Foupallour qui m’a surtout fait bien rire ! Merci Nouratin, ça fait du bien ! 🙂
    C’est vrai qu’elles sont chouettes, vos petites conversations de bistrot !
    Gros bisous !

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    • nouratinbis 25 juillet 2021 / 21 h 38 min

      C’est un endroit convivial, dommage que ça ne dure pas éternellement.
      Gros bisous.

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      • elba 25 juillet 2021 / 21 h 57 min

        Rien n’est éternel sur notre terre, Nouratin. Mais il n’y a pas de raison que ça ne dure pas encore un bon moment. Je parle de vos articles, de Derrière Napoléon, le petit bistrot sympa… Au moins plus longtemps que ce covid de m. tout du moins ! En ce moment, j’ai l’impression d’être en plein cauchemar.
        🙂

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  5. Mildred 25 juillet 2021 / 19 h 46 min

    Si Macrounette a besoin d’un hymne pour sa campagne, je l’ai trouvé :

    Traduit en français ça donnerait :

    A mort ! A mort ! A mort !
    Qu’on les tue tous,
    Pour leur apprendre
    A vivre !

    Passez une bonne semaine, cher Nouratin !

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    • nouratinbis 25 juillet 2021 / 21 h 40 min

      Très bien vu, bravo!
      En plus Louise Mariano ça lui va comme un gant…oui, enfin..
      Bonne semaine à vous aussi, chère Mildred.

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    • elba 25 juillet 2021 / 21 h 59 min

      Excellent, Mildred !
      Gros bisou !

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  6. FRACANAPA 26 juillet 2021 / 8 h 52 min

    Ils ont raison vos amis de chez Thérèse :
    Mieux vaut être majeur et vacciné par les temps qui courent…🥴
    Bonne semaine à TOUS, vaccinés ou pas !

    Bien amicalement, Sabine

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