-« Alors comme ça, vous avez pensé que je vous racontais des stronzate (1), moi, Umberto Cazzoficca? Vous préférez apparemment croire vos journalistes de mes deux, toujours si bien informés que les seules fois où ils ne se gourent pas c’est parce qu’ils se foutent le doigt dans l’œil? Apprenez, Messieurs que lorsque j’affirme quelque chose sur un sujet que je maîtrise -sans quoi je ferme ma gueule- vous pouvez toujours vous fouiller si vous essayez de prévoir le contraire. Sans compter que l’Italie, les Franchouilles n’y ont jamais rien compris, trop fin, trop subtil et trop compliqué pour eux! Alors les pisse-copie de votre presse, excusez-moi… La prochaine fois, si vous le voulez bien, faites moi le plaisir d’accorder un minimum de crédit à mes propos, ça vous évitera de vous fourvoyer dans des impasses à la con. Ne cherchez pas, j’ai raison, voilà tout! »
Faut reconnaître! La semaine dernière, ici même, à peine avait il tourné les talons qu’un démenti retentissant lui pétait à la gueule, comme quoi les spaghetti gouvernementaux étaient cuits et que le Président Mozzarella (2) désignait un clampin quelconque pour former un cabinet bien comme il faut, en attendant de nouvelles élections rapidement organisées. Tellement ils étaient contents de voir la coalition « populiste » partir en sucette avant même son premier tour de piste, qu’ils y allaient tous de leur petit couplet bien pensant, les médiatiques patentés: la coalition improbable, les risques pour l’Europe, le malheur qui avait failli nous broyer, les pauvres migrants qui l’échappaient belle… Bref, la victoire éclatante du camp du bien sur les forces fétides de la nauséabonderie transalpine (d’ours, naturellement). Manque de pot, toujours parfaitement au courant des affaires les plus tordues du Quirinal et du Viminal, sans parler de sa grande spécialité, le Vatican, le brummell des sept collines détenait, lui, la pure vérité, si déplaisante fût elle pour tous les adeptes du suffrage politiquement-correct. Les Ritals ayant majoritairement exprimé, dans les urnes, une volonté farouche d’en finir avec le globiboulga européo-humanitariste et ses épouvantables conséquences, ils auront, pour une fois, la réponse adaptée à leurs exigences… Jusqu’à ce que « Le Système » leur fasse tout exploser en vol y compris leurs illusions démocratiques, ce qui, selon toute vraisemblance, ne devrait pas demander beaucoup plus de six mois.
Cela dit, il en rajoute un peu, Umberto, histoire d’en mettre plein la vue aux gonzesses. Car il s’est pointé au bistrot de Thérèse en charmante compagnie, le saligaud! Une quinquagénaire de toute beauté, Ornella Patta-Tina, accompagnée d’un petit canon à longue portée, Graziella Pompino, une merveille absolue, vingt piges, une sorte de tanagra en jeans taille-basse revisité par un Botticelli retour d’une soirée au Crazy Horse. Bon, ça vit à Monaco, vous voyez, avec des activités vachement lucratives sur lesquelles mieux vaut ne point s’appesantir; cependant, question esthétique visuelle autant qu’olfactive et même sonore on n’avait jamais rien constaté de tel, Derrière Napoléon, même aux temps obscurs de notre jeunesse enfiévrée. Grauburle, appuyé sur un coin du rade, en bave doucement négligeant carrément de siroter son pastis; Foupallour, toujours pragmatique, profite de l’occase pour s’astiquer discrètement le milieu du futal, Maître Trentasseur tente de jouer les causeurs de haut vol tout en essayant d’évaluer le coût éventuel, forcément exorbitant, d’une petite prestation. Quant à l’ami Maurice, éternellement philosophe, il se dit que, même avec soixante ans de moins, jamais il n’aurait eu les moyens d’accéder à des pétroleuses de ce calibre.
Il a voulu, Umberto, montrer à ces dames un témoignage émouvant du passé, une espèce de lieu en voie d’extinction totale, l’obsolescence personnifiée par les vieux piliers de comptoir et la patronne derrière son zinc d’avant guerre. Ça n’existe plus ces trucs-là, sauf peut être encore au fin fond des provinces les plus arriérées et encore… les pochetrons crèvent, les patrons à tablier cradingue et mégot sur l’oreille ne sont plus qu’un lointain souvenir, la fumette et la sniffette remplacent peu à peu la bonne vieille cuite de nos pères, la convivialité bistrotière fait place désormais au tout puissant smartphone. Plus d’espace pour les vieux troquets de papa dans notre société islamo-numérique! Alors les quelques survivants valent le coup d’être vus une dernière fois, avant qu’ils ne disparaissent à jamais, faute de clientèle et de tauliers (voir aussi Le crépuscule des zincs).
Les deux superbes salopes ont l’air de bien apprécier le côté pittoresque du gourbi et de ses occupants, le pastis servi dans ses verres marqués « 51 » flanqués de leur complice de toujours, la cruche jaune-criard du grand concurrent multinational. Enfin tout, quoi. Surtout la petite Signorina Pompino, celle-là, habituée du Café de Paris et des palaces environnants, n’imaginait même pas l’existence de boui-bouis aussi hors du temps. Elle s’amuse comme une écolière en goguette à tripatouiller la machine à distribuer les cacahuètes, une véritable pièce de musée, tout en nous regardant tous, nous autres les curiosités locales, avec un étonnement vaguement teinté d’inquiétude. Des bestiaux de cette espèce, surtout les Graubule-Foupallour brothers, elle n’en avait jamais vu la queue d’un, au propre (oui, enfin…) comme au figuré s’entend!
-« Je vous disais donc, reprend le Signore Cazzoficca en pelotant délicatement la hanche diabolique de la Signora Patta-Tina, que les carottes sont cuites. Le Gouvernement de chez nous s’installe et dès demain notre Ministre de l’Intérieur Salvini se rend en Sicile afin mettre les pendules à l’heure. Les clandestins dehors! Qu’on en finisse avec ces débarquements incessants et cette invasion pernicieuse qui nous pompe l’air et la substance. Plus aucun vice-passeur -en d’autres termes les ONG organisatrices des récupérations d’Africains au large des côtes Libyennes- ne doit plus accoster dans nos ports. Quant aux envahisseurs installés en Italie, qu’ils préparent les valises en vitesse, la sortie c’est du peu au jus! Les cinq milliards consacrés à l’accueil des clandestins, leur bouffe, leur entretien et leurs cours d’italien, on va les affecter aux camps de transit où les intéressés attendront -le moins longtemps possible- leur expulsion. Et ne croyez pas qu’il s’agisse de paroles en l’air, Di Maio, son allié 5 Etoiles, suit parfaitement Salvini sur ce terrain, au titre d’une solidarité gouvernementale sans laquelle les deux sauteraient avant même d’avoir touché leur première indemnité ministérielle.
« A présent, chers amis, poursuit le chaspeur aux doigts de velours, comme je vous le disais la semaine dernière, numérotez vos abattis. Les passeurs humanitaristes des maudites ONG disposent de navires parfaitement à même de pousser plus loin les traversées. Vous risquez donc de les voir accoster en Corse…remarquez ça j’en doute vu que les copains de Bonifacio ou d’Ajaccio risquent d’apprécier moyen la plaisanterie… Non, vous commencerez bientôt à en voir débarquer à Menton, à Villefranche, à Nice, à Saint-Trop -pourquoi pas?- à Cassis, à Marseille, enfin partout où vos Bien-Pensants sauront les accueillir avec viennoiseries et élixirs anti-poux. Le seul truc que je puis vous dire c’est qu’ils éviteront Monaco: Bébert apparaît certes comme un garçon particulièrement porté sur la bienfaisance, toutefois, vous comprenez, il n’y a pas la moindre place disponible, on est les uns sur les autres…alors plutôt que de les transférer gentiment dans les villes voisines, autant qu’ils s’y rendent directement et qu’on n’en parle plus!
« Sinon, à part ça, bien sûr, termine t-il en glissant mine de rien vers les fesses de la somptueuse Ornella, les mesures fiscales vont se décider rapidement, de même que les « avancées sociales » pour faire plaisir à la partie gauche de la combinazione. Sur ces points, bien évidemment, l’Europe nous attend au tournant. Je pense qu’on nous savonnera la planche jusqu’à reprise en main des manettes par les stipendiaires de l’Allemagne; Deutchland über alles! Force restera à l’autorité légitime puisque tout le monde en est d’accord, à commencer par vous, les Français… D’ailleurs, hein, sans vous vexer, fait il en jetant un coup d’œil vicelard à ce pauvre vieux Blaise Sanzel, collaborer avec les Fridolins ça ne vous a jamais fait peur, pas vrai? »
Bon, personne ne moufte plus, ça jette un froid ces choses-là, toute vérité n’étant pas nécessairement bonne à dire. Et puis, aussi, la dame Patta-Tina, depuis un moment ondule doucement sous la caresse pernicieuse de ce rital de mes deux, ce qui commence singulièrement à agacer la brave Thérèse. Du coup cette dernière décide de mettre un terme à la plaisanterie en priant gentiment Umberto d’aller déplacer sa Maserati lâchement abandonnée sur le trottoir d’en face. La tournée des flics ne devrait pas tarder selon la vioque, vu qu’ils se pointent toujours Place Bonaparte sur les choses de midi… forcément, c’est sur le chemin du commissariat, et l’heure de l’apéro arrive…
Par suite les visiteurs du matin décident de prendre congé, ce cher Cazzoficca saisit les deux nanas par la taille et les embarque vers d’autres cieux, non sans qu’elles nous balancent des tas de baisers de leurs petites mimines surchargées de bagouzes à cent-mille balles pièces minimum, surtout la belle Ornella, elle a eu le temps d’en amasser des douzaines et des douzaines, la Signora, avec la carrière qu’on lui devine!
Ça laisse un sacré vide quand ça décarre, ces petits animaux-là, on se sent tout chose, penaud, un peu frustré, mal à l’aise dans sa vieille peau défraîchie.
C’est Grauburle qui réagit le premier:
-« Dites, les potes, vous ne trouvez pas, comme ça, qu’on aurait légèrement raté nos vies, nous autres? »
Bonne semaine à tous et portez vous aussi bien que possible.
Et merde pour qui ne me lira pas.
NOURATIN
(1) Calembredaines…enfin pour rester poli, le bullshit cher à l’ami Wauquier s’en rapprocherait plus.
(2) Ou Mattarella… je crois, de toute façon ce n’est qu’une question de fromage…