Me voici bien emmouscaillé! Pour tout vous dire je ne sais même pas quoi vous raconter; on tourne un peu en rond, par les temps qui courent, le covid, justement, commence sérieusement à nous courir, le Coranovirus aussi, les petits jeunes de banlieue qui s’entretuent joyeusement virent désormais à la banalité consternante, la dégradation progressive et catastrophique de notre civilisation n’est que tristesse et affliction! Nous n’avons même plus ce vieux Donald pour nous booster un tant soit peu le boyau de la rigolade, son remplaçant Jo Robinette suscite, quant à lui, la folle envie d’enfiler son bonnet de nuit et de se foutre au pieu avec une bonne tisane. Donc rien! Rien à dire, rien à signaler, rien de croustillant à se coller sous la dent, le désert, en somme, vous me voyez bien embêté, je me répète. Il y aurait peut être, me direz vous, le côté comique des conférences de presse de l’ami Cachsex, notre estimable premier- ministre, sauf que, dois-je vous l’avouer, je ne regarde plus cette sorte de happening ringard tout juste bonne à justifier les émoluments cossus de ce pauvre gascon (comme la lune). Disons-le tout net, l’époque se révèle plate et dépourvue du moindre petit truc qui pourrait amener une amorce de conversation, fût elle de café du commerce. Et d’ailleurs il n’y a même plus de café, ni du commerce ni de quoi que ce soit, l’amour est morte, la picole conviviale aussi.
Voilà pourquoi, bien tristement, le vieux Maurice, Grauburle, Foupallour et votre serviteur, se trouvent ce matin même à discuter le bout de gras sur un banc de la Place, celle-ci complètement déserte et silencieuse ainsi qu’on pourrait l’imaginer après l’extinction de l’Humanité. Comme dit Maurice « si ça se trouve il finira par nous liquider jusqu’au dernier, le Covid, on rigole, on rigole mais les copains commencent à s’y mettre, les copines aussi! Marlène l’a chopé, vous savez, son con de mari, le peintre le lui a refilé, l’andouille! Sans parler de nos amis, le couple Pédère-Haste (1) tous les deux à l’hosto, je viens d’apprendre, mal embarqués à ce qu’on raconte, et puis Aristophane Pifaretti, le boucher de la Rue du Maréchal de Burnemôve, claqué, dites-donc, en deux coups les gros, faut dire qu’il avait du diabète et du cholestérol, mais tout de même… Non, moi je crois qu’on pourrait bien tous en clabotter, même les vaccinés comme nous, à la vitesse où les variants varient! »
-« Vacciné toi-même, réplique Jeannot, moi je me brosse vu que je n’ai pas encore tout à fait atteint l’âge du vaccin! Aussi bien ils me laisseront crever avant, parce que si je l’attrape je suis foutu, c’est clair! »
Et me voilà obligé de le rassurer, le malheureux, je lui explique alors que le sras-cov 2 ne s’attaque pas aux alcooliques invétérés et que son imprégnation au Ricard le place de facto à l’abri de toute contamination de cette nature. Évidemment je ne saurais l’affirmer absolument, par manque de données scientifiques, mais je peux toujours le lui faire croire, histoire de le rassurer, enfin d’essayer…
-« C’est ça, prends moi pour un abruti, pendant que tu y es, t’as bonne mine à te foutre de ma gueule, fait-il, courroucé, on dirait que tu biberonnes à l’eau claire et au petit lait, avec ta gueule de faux-cul vacciné, l’hôpital qui se fout de la Charité, dites-donc, elle est bonne celle-là! Alcoolique invétéré toi même, écrivain raté, va! »
Hou-là, j’ai dû cogner là où ça fait mal, sans compter qu’il n’est pas d’humeur, l’ivrogne… dieu merci, l’ami Grauburle met son grain de sel histoire de détendre un peu l’atmosphère.
-« Moi, vous savez, j’ai le vaccin d’accord, mais je n’en suis pas plus fier pour ça, vu qu’il change tellement, ce putain de covid, qu’on va se retrouver un jour ou l’autre avec les anticorps du virus Machin qui ne reconnaîtront pas son collègue Bidule, et du coup on crèvera comme tout le monde, sans faire d’histoires et avec notre certificat d’immunité en poche; moi je le vois comme ça, pas que ça me fasse plaisir mais après-tout on a vécu, et puis faut bien y passer un jour…sauf que mourir moi ça ne me gêne pas trop mais en même temps je m’étais bien habitué comme-ça, et moi, les habitudes ça m’embête toujours d’en changer! »
-« Te biles pas trop, lui rétorque Maurice, une fois canné les habitudes et le reste on n’en aura sûrement plus rien à secouer, dans le trou y a pas grand chose qui t’atteint, tu sais, à part les petits vers, bien sûr, mais une fois arrivé-là on craint assez peu les chatouilles… »
Maurice, ça le fait marrer, c’est un philosophe à sa manière, un stoïcien même! Je ne crois pas forcément qu’il ait beaucoup lu Sénèque mais il arrive à peu près aux mêmes conclusions, il a même une chanson pour ça:
Quand on est mort on est foutu,
On est foutu dans une bière,
Les asticots nous bouffent le cul,
Quand on est mort on est foutu.
Bon, d’accord, ce n’est pas du Verlaine, mais ça suffit à faire réagir le Jeannot, décidément très remonté:
« Et t’en sais quoi, vieux schnock? T’es déjà allé voir, toi, comment c’est de l’autre côté, peut être? Y a plein de gens très bien qui croivent en Dieu, en Jésus, en Bouddah, en Mords la Merde (2), tout le bazar quoi! Et pourquoi ils seraient plus cons que toi, ces clampins-là, hein? Tu te souviens du Père Tuszduku (3) j’espère! Ben à moi il m’avait tout bien expliqué comment que Jésus, de temps en temps, il venait lui parler, comme ça, il lui refilait des conseils, des tuyaux…oui, pour se démerder dans la vie, pas pour jouer au tiercé, andouille! Et le Père il expliquait tout vachement bien, par exemple il disait qu’une fois crevé, si on s’était arrangé pour se coller dans les petits papiers du Barbu, eh ben on se retrouvait au Paradis, pépère comme pas possible et sûr de le rester jusqu’à l’éternité, ce qui laisse quand même un chouette délai pour prendre son pied! D’ailleurs, fut un temps, quand je suivais le catéchisme, l’abbé racontait à peu près la même chose, sauf que pour se faire pote avec Notre Seigneur, d’après lui, il fallait d’abord lui sucer coquine -c’était comme ça qu’il appelait son appareil pornographique- voire plus si on voulait vraiment se retrouver à la droite de Dieu. Moi ça m’était difficile, à l’époque, vu que l’instituteur m’avait à la bonne -tout gamin je plaisais beaucoup- et qu’il me demandait toujours de lui astiquer le poireau si je ne voulais pas rentrer à la maison avec un carnet de notes aux allures de mur de pissotière. Seulement il était très jaloux l’instituteur, et communiste en plus, alors, il serait venu à apprendre que j’avais une histoire avec l’abbé, j’étais sûr de mon affaire…et mon paternel, le pauvre, il ne rigolait pas avec les mauvaises notes, les coups de ceinture, je ne dis pas, on s’y fait, mais bouffer la pâtée du clébard, ça j’ai jamais pu y arriver sans dégueuler tripes et boyaux! »
N’empêche, des confessions de ce genre ça donne à réfléchir. On se perd un peu dans les méandres saugrenus de l’âme humaine, ne trouvez vous pas? Les raisons qui poussent l’ineffable Jean Foupallour à croire en Dieu, ou tout au moins à ne pas rejeter l’idée a priori, apparaissent tout de même assez surprenantes! Un ecclésiastique et un instituteur pédophiles, cela n’a rien d’étonnant, certes, on frise carrément le pléonasme dans les deux cas, mais le résultat se révèle tout à fait inattendu, le message biblique a porté, vous voyez, en dépit des petites gâteries potentielles dont il se trouvait assorti! D’accord, je veux bien que le Père Eusébius Tuszduku -un saint homme, celui-là- ait pu ajouter à l’affaire une touche de foi intense autant que désintéressée, mais il ensemençait une glèbe déjà conséquemment labourée, (même si aux dires de Jeannot il ne l’a pas du tout bourré, l’abbé).
Oui, sauf que voilà, l’heure tourne et les lois du confinement étendent sur nous quatre leur ombre sinistre! On cause, on cause et on risque, en cas de dépassement, de se causer un sacré préjudice, faut pas rigoler avec une maréchaussée, certes assez invisible à cette heure, mais toujours susceptible de surgir ex abrupto pour vous en coller une à cent trente cinq Euros! C’est qu’ils se révèlent vachement sensibles du carnet à souche quand il s’agit de coincer de pauvres vieux, bien incapables de piquer un sprint à la Mohamed sur la moindre tentative de contrôle au faciès! Alors finalement alpaguer quatre pauvre bougres perclus de rhumatismes ne présente que des avantages: ça ne s’échappe pas, c’est docile, c’est solvable et ça ne va jamais rameuter les copains pour qu’ils reviennent en force avec les barres de fer, les battes de baise-balles, les mortier de feu Darty-fils et les cocktails-molotov -paix à son âme- (4)…voire plus si affinités, les kalachnikov ne manquent pas dans les cités périphériques! Vive le contrôle au faciès ridé, en somme!
Donc les attestations établissant notre droit de sortie en vertu d’une autorisation auto-conférée se trouvant déjà sur le point d’expirer, un repli stratégique vers nos piaules respectives s’impose dare-dare…sauf pour le brave Marcel Grauburle…pas pressé de se rapatrier dans ses foyers pour rejoindre le pit-bull qui lui sert d’épouse, il a inventé un dispositif plutôt bien ficelé: quatre attestations, deux dans les poches de la veste et les deux autres dans celles du pantalon, il suffit ensuite de tourner dans le sens des aiguilles d’une montre, et surtout de ne pas se mélanger les pinceaux en cas de contrôle. Mais c’est un ancien facteur, le Marcel, il sait s’organiser dans la distribution du courrier, alors…
Et donc, de retour dans ma cagna, il ne me reste plus qu’à m’y morfondre jusqu’à retrouver, dès demain matin, ma liberté de mouvement limitée à dix-huit heures.
C’était le journal d’un confiné (pourquoi « finé », après tout…). Merci pour votre fidélité, bien le bonjour chez vous. Que le Bon Dieu, à supposer qu’il s’en occupe un minimum, vous ait en sa sainte garde.
Et merde pour qui ne me lira pas.
NOURATIN
(1) Voir « Derrière Napoléon » Chapitre XV.
(2) Je crois qu’il veut parler du Prophète…vous vous rendez compte du risque qu’il me fait prendre, ce con!
(3) « Derrière Napoléon » chapitre XII et suivants.
(4) Molotov, bras droit de Joseph Staline, et barman explosif à ses heures.